Les amis, les amours, les emmerdes… Et le deuil 2.0
Ce billet a mûri longtemps, il mûrit depuis 5 ans, peut être même plus, et n’est probablement qu’une ébauche. Il soulèvera quelques questions, n’apportera probablement pas vraiment de réponses, mais aura le mérite de nous faire réfléchir.
Il y a 5 ans, par une belle soirée d’été, M., 36 ans, fondu de parachute, a fait son dernier saut, du 7ème étage d’une tour parisienne. Je l’ai appris 6 mois plus tard, tandis que je le cherchais sur Facebook où nous avions coutume d’échanger, pour lui souhaiter une « bonne année ».
J’avais connu M. en 1998 à Paris, nous nous étions perdus de vue peu de temps après mon retour sur la Côte mais nous suivions de loin en loin. Suffisamment pour savoir que sa première fille était née le même jour que la mienne, qu’il avait eu un deuxième enfant et qu’il avait divorcé. En 2008, nous nous étions retrouvés, grâce à Facebook. Nous avions échangé, prévu de nous voir, il était en pleins préparatifs, avait retrouvé son père, souhaitait quitter la France pour rejoindre son nouvel amour au Mexique… Puis, le silence.
Pendant 6 mois, j’ai pensé à lui de loin en loin… Six mois, ça passe vite, au final, et je n’avais aucune raison de m’inquiéter. Sauf que voilà, quand j’ai découvert que son profil avait été transformé en groupe à sa mémoire, j’ai réalisé que ses traits d’esprit et ses photos « vues du ciel » n’eclaireraient plus ma « timeline », que je ne verrai plus son nom clignoter dans la barre des messages. Point.
M. n’était plus, mais le seul signe tangible de sa disparition était la disparition de son profil. Et la montagne de questions que sa mort soulevait et que je partageais déjà ici.
Pendant longtemps, j’ai croisé ses différents profils en ligne, LinkedIn a continué à me proposer de prendre de ses nouvelles plus d’un an… Puis ces dernières lueurs se sont éteintes et aujourd’hui, M. me surprend parfois, au détour d’un regard bleu clair dans lequel je crois le retrouver, et je souris en repensant à lui, à son extraordinaire maman dans son triplex à Belleville, à ses 5 chats et son chien pervers, à sa maison du Mont Saint Michel et à la fameuse rue de la Soif.
Lundi matin, Lexity a pris lui aussi son envol, arraché aux bras de ceux qu’il / qui l’aimai(en)t. Là aussi, ce fut une surprise. Là aussi, j’ai loupé 6 mois, trop occupée à gérer la course folle de ma vie pour lire entre les lignes. D’où j’étais « tout allait bien, Madame la Marquise ».
Tout allait bien… Mon cul. Se tromper à ce point quand on a une conscience aussi aiguë que la mienne de la futilité de ce qu’on donne à voir dans notre exhibitionnisme 2.0, ça touche au sublime.
Dans la vraie vie aussi, me direz-vous, on s’apprécie, on se fréquente, on se perd de vue, on se retrouve. Dans la vraie vie aussi, les liens s’étiolent ou se resserrent au gré des événements de nos vies. Et dans la vraie vie aussi, on est parfois surpris d’apprendre le décès d’un untel « mais-si-tu-sais-il-sortait-avec-la-cousine-de-la-voisine ». Sauf que dans la vraie vie, on est conscients de ne rien savoir d’untel, qui n’est au final qu’un sujet de ragotage sur lequel on colle difficilement un visage.
Tandis que sur la toile, on entretient l’impression de proximité. Des amis que l’on perd de vue restent présents, tellement vivants, qu’on a l’impression de tout savoir de leur vie, au travers des photos partagées, par leurs interactions avec nos amis communs, par leurs « like » et leurs retweets qui sont autant de « signes de vie ».
Moi qui suis la première à répondre, à ceux qui me reprochent de raconter ma vie en ligne, qu’ils ne savent que ce que je veux bien dévoiler, j’ai oublié que ce principe s’applique à tous.
Paradoxalement, les mots échangés sur la toile et les hommages qui fleurissent ci et là, n’ont rien de virtuel, et témoignent d’une vraie peine, une peine que l’on « donne à voir », pour le coup, avec justesse et émotion. D’une certaine manière, ils constituent les signes modernes de la solidarité, de l’esprit de corps, des liens qui se resserrent face à la peine, comme dans « la vraie vie ».
Et cette semaine, nous avons été nombreux à chercher une nouvelle étoile, au delà des mots que nous avons été capables, ou pas, d’écrire à ton sujet, Fred. Et nous serons nombreux demain, aux côtés de ton épouse et de ta fille, pour ce « dernier hommage ».
Sans fleurs ni couronne, sans couleurs sombres ni costumes, flamboyants comme tu l’as été, comme tu le resteras dans nos cœurs.
Avec l’avènement des réseaux sociaux, je trouve effectivement qu’on fait de moins en moins attention à nos amis. On ne prend plus de nouvelles, on attends d’être notifié de leurs activités. Quand ils ne sont pas actifs, on a tendance à les oublier, pris dans le flots d’informations de nos autres « amis ».
Au démarrage des blogs, on prenait des nouvelles des uns et des autres, on se posait des questions quand un blog restait anormalement actif pendant une longue période. Maintenant plus rien… Trop de réseaux sociaux tuent l’aspect social des relations. C’est bien dommage…